Par Jean-Paul Lançon

Last movie theater

Il n’est pas anodin que ce film de John McTiernan, sorti en salles en 1993, nous soit enfin restitué dans sa qualité originelle par le biais d’une édition blu-ray 4K. C’est bien le signe que, 30 ans plus tard, le lieu privilégié de la cinéphilie s’est déplacé de la salle vers le salon, à la faveur des progrès technologiques. L’expérience même de la redécouverte de Last Action Hero est donc d’abord indissociable du sentiment de la perte d’un monde, celui de la salle de cinéma, avec son écran mis en abîme dès les premières secondes du film.

Last action movie

Tout entier construit en référence au cinéma d’action des années 80, le film suit le parcours de Danny, un jeune adolescent solitaire, qui passe son temps à fréquenter les salles obscures et finit par tomber littéralement à l’intérieur du dernier film de son héros préféré, Jack Slater.
Inutile de détailler l’intrigue, construite autour de la relation entre Jack Slater et Danny — d'abord à l'intérieur du film, puis en-dehors, de retour dans la réalité. Plus qu’une parodie du genre, et sa mise en abîme, il s’agit d’un film qu’on qualifierait aujourd’hui de « méta », dans la mesure où il joue avec la conscience qu’ont les acteurs et le spectateur de ses codes cinématographiques (autre exemple : Scream de Wes Craven, 1996).

Et en effet la première réussite du film est de convoquer tout un cinéma d’action aujourd’hui disparu, fleuron des années Reagan, et dans lequel la force physique triomphe de tout. Les icônes défilent à l’écran ou dans nos têtes (Sylvester Stallone, Bruce Willis, Van Damme, Chuck Norris, Steven Segal…) et les clichés sont fidèlement reproduits (bazookas, voitures qui explosent avant impact, punchlines gratuites…). Se superposent le plaisir souvent puéril de la castagne et de la virilité de pacotille, et l’autodérision qui permet d’en rire. McTiernan, qui a donné au genre ses lettres de noblesse avec Predator (1987) et surtout Piège de Cristal (1988), s’en donne visiblement à cœur joie, mais surtout il filme à la bonne hauteur : celle d’un enfant. Car c’est le regard de Danny, et par extension le regard d’enfant qui est encore en nous, qui fait tenir l’invraisemblance de l’action.
McTiernan est forcément conscient également de la transition à l’œuvre dans le cinéma hollywoodien de l’époque : Last Action Hero sort juste après Jurassic Park (ce qui a contribué à son échec), et deux ans après Terminator 2. Ce dernier notamment annonce la fin du muscle triomphant des héros de la décennie précédente, avec son robot T-1000 dont la force réside dans la fluidité extrême de son corps. Le numérique en plein essor déplace l'enjeu sur la capacité à s’affranchir de la pesanteur et du charnel. Les chorégraphies aériennes importées de Hong-Kong achèveront de ringardiser la gonflette et le body-building. Replacé dans ce contexte, Last Action Hero se révèle comme un chant du signe au fond assez émouvant, un enterrement en grandes pompes de tout un genre cinématographique en train de disparaître.

C’est donc tout à fait logiquement que la Mort (la vraie) fait littéralement son apparition vers la fin du film, lorsque le méchant Benedict a la bonne idée de l’inviter à sortir d’une projection du Septième Sceau d'Ingmar Bergman. Le personnage de Jack Slater est alors déjà sorti de son univers de film d’action californien en carton pâte, et confronté à la dure réalité des rues de New York, pluvieuses, crasseuses, et rongées par la criminalité. Les coups de poing font mal et les balles n’atteignent pas leur cible. On bascule ici dans une représentation quasi-documentaire, un cinéma d’essence réaliste qui prend le contre-pied absolu de la machine à rêve hollywoodienne ; comme si l’on arrachait le Stallone de Rocky 4 pour le replonger dans les débuts du premier opus de la saga. Une sorte de gueule de bois qui culmine dans une scène malheureusement coupée au montage mais que l’on peut désormais voir sur la nouvelle édition 4K du film (à partir de 2'07") :

Il faut voir ce court dialogue échangé sous la pluie entre Jack Slater et Danny, quand le premier se lamente sur l’assassinat de son père qu’il a heureusement pu venger, et que l’enfant lui rétorque, à propos de la mort de son propre père, qu’on ne peut pas se venger du cancer. Véritable manuel de démystification hollywoodienne, cette scène aurait sans doute permis au film d’aller au bout de son discours ; il semble malheureusement qu’on ait retiré à McTiernan, en post-production, la possibilité de monter son film comme il l’entendait.
Mais qu’importe, l’âme du projet infuse de bout en bout, malgré ses défauts et ses manques.
Véritable traité sur l’essence du spectacle hollywoodien, sur ses acteurs comme sur ses spectateurs, Last Action Hero est aussi un grand film sur le rapport entre le cinéphile et ses icônes.

L’exercice a été profitable, monsieur

En remerciant Daney (Serge), il faut dire encore un mot sur Danny, cet enfant que nous avons été, et qui a un temps rêvé que le monde soit simple et évident comme celui d’un film d’action.
Car Last Action Hero, en plus d’être un film d’action, est aussi évidemment un récit d’apprentissage.
Et en le revoyant je ne peux m’empêcher de penser aux Contrebandiers de Moonfleet (Fritz Lang, 1955), et à la relation entre John Mohune et Jeremy Fox.
Le jeune Mohune recherche la protection de l’aristocrate Jeremy Fox, lequel s’avère en fait un complice des fameux contrebandiers du titre. Comme pour Danny face à Slater, l’icône est donc déceptive (dans le monde réel, Slater est impuissant), mais dans un magnifique retournement, Slater comme Fox finissent par apprendre de l’enfant, en retour : c’est en effet ce dernier qui les « oblige » à prendre conscience de leurs mensonges et de leur vrai rôle, qui est de laisser la place, et disparaître sous forme de mythe, pour lui permettre enfin de devenir adulte.

Adieu à l’enfance

C’est toute la beauté du dernier plan du film, lorsque Slater s’éloigne sur l’écran dans sa décapotable, sur la route californienne. Son signe d’adieu à Danny marque bien sûr une complicité entre le héros de fiction et le spectateur qui accepte d’y croire, mais plus profondément, c’est aussi et surtout un signe d’adieu à l’enfance.
Last Action Hero, blockbuster vendu comme une comédie d’action familiale, se révèle finalement, au-delà de sa dimension « méta », un film élégiaque sur un monde qui s’en va, et sur un enfant qui grandit grâce au cinéma, et en garde une éternelle reconnaissance.

« Last Action Hero » de John McTiernan (Etats-Unis, 1993)

Avec : Arnold Schwarzenegger, Austin O'Brien, Charles Dance...

On peut voir Last Action Hero en DVD / Blu-ray et VOD

Crédits photo : Sony

Last Action Hero (John McTiernan, 1993)

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