Les ordres (Michel Brault, 1974)
Article rédigé pendant le Festival de Cannes 2015, entre deux visionnages de films...
Des gens ordinaires sont arbitrairement arrêtés et faits prisonniers dans le cadre d'une loi d'exception, qui fait suite à l'enlèvement de personnalités politiques par le Front de Libération du Québec ("Crise d'octobre" en 1970).
Documentaire de reconstitution, qui s'assume bien comme tel (les acteurs se présentent au début), le film s'attache à retranscrire l'expérience vécue par ces gens ordinaires soudainement jetés derrière les barreaux. La transformation d'une société, qui jusque-là se vivait comme une démocratie où les citoyens ont un minimum de droits (dont celui de penser ce qu'ils veulent), en un Etat policier totalement arbitraire provoque incrédulité puis effroi. Nous avons l'impression de plonger avec eux dans une inversion du réel, comme si l'on venait sans nous prévenir d'interchanger les blocs de l'Est et de l'Ouest.
Évidemment la force du film réside aussi dans sa résonance avec une certaine actualité, avec des lois telles que le Patriot Act et les arrestations parfois arbitraires perpétrées par les Américains, à destination de Guantanamo...
Une autre résonance intéressante peut s'établir, sur le plan esthétique, avec d'autres films de l'époque, qui eux aussi mettent en scène un chaos soudain, et une déclaration d'état d'urgence qui bouleverse la vie quotidienne de gens normaux : je veux parler de la fin de "Rabid" (David Cronenberg, 1977), lui aussi situé à Montréal, et du début de "Dawn of the Dead" (George Romero, 1978). Beaucoup plus violents bien sûr, et ancrés dans le cinéma de genre, mais qui à leur manière figurent brillamment la facilité avec laquelle tout peut soudainement déraper. Ils nous rappellent eux aussi à quel point le pouvoir, même contrôlé par une démocratie, peut du jour au lendemain se révéler un monstre froid, prêt à tout et n'importe quoi pour assurer sa survie, sans distinction et au mépris des individus.
Jean-Paul Lançon
Les ordres (The orders) de Michel Brault (Canada, 1974)
Cannes Classics, Cannes 2015
Date de ressortie pas encore fixée
Crédits : ELEPHANT, MÉMOIRE DU CINÉMA QUÉBÉCOIS