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R é t i n e s
12 mai 2017

Voyage of Time (Terrence Malick, 2016)

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LA QUATRIÈME DIMENSION

Par Aurelio Cárdenas

 

Concernant l’évolution biologique, deux théories tendent à s’affronter : celle du finalisme et du mécanisme. Le finalisme affirme que l’évolution, dès son origine, a pour but (ou fin) l’apparition de l’espèce humaine. Quant au mécanisme, il est basé sur un principe de causalité dans lequel chaque partie de l’organisme est la pièce d’une machine qui produit un effet, sans autre intention cachée. "Voyage of Time" ne fait pas de mystère en embrassant la première théorie biologique, avec l’emphase et la grandiloquence que l’on prête à Terrence Malick depuis "Tree of Life" (2011). Cependant, malgré un arrière-plan neo-créationniste, le film est tout sauf simpliste. Il est aussi complexe, profond et mouvant qu’une pensée. “Une pensée qui prend forme, une forme qui pense”, préciserait Godard. Ni cinéma classique (finaliste), ni cinéma moderne (mécanique), "Voyage of Time" se situe en effet ailleurs, far far away, dans la galaxie des essais cinématographiques, l’équivalent audiovisuel de la réflexion philosophique. En s’emparant d’un sujet académique et maintes fois rebattus, l’apparition de la Vie sur Terre, Terrence Malick y insuffle un questionnement métaphysique, mais aussi esthétique, aux quatre dimensions.

 

1ère dimension

"Voyage of Time" expose chronologiquement les grandes étapes de l’évolution (formation de la Terre, apparition des bactéries, de la vie sous-marine, des dinosaures, des mammifères, etc.) grâce à des plans fascinants de beauté sur la Nature et le règne animal. Certains ont été tournés actuellement aux quatre coins du monde (Hawaï, Islande, Chili ou Kenya…), d’autres complétés par des animations CGI (à la qualité discutable, certes, mais plutôt discrètes).

Ces plans purements contemplatifs, tantôts abstraits, nous hypnotisent non seulement pas leur durée et leur prouesse technique, mais aussi par leurs proportions spatiales et temporelles. Le microscopique (bactéries) est filmé comme le gigantesque (planètes en formation). Les textures de peaux de reptiles ressemblent à d’immenses continents désertiques. Le temps se dilate (ralenti sur de la matière en fusion) ou s’accélère (ellipses de millions d’années entre deux plans). Même le mixage du son est utilisé d’une manière déconcertante avec des points d’écoute imaginaires, théoriquement impossibles (sons dans l’univers, “bruits” de vie microbienne, texture intra-utérine...). Comme si Malick repensait cinématographiquement la représentation de l’apparition de la Vie à travers le regard d’un œil omniscient, multifocal et éternel - un œil divin en somme.

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2ème dimension

Nombre de documentaires scientifiques sont plombés par une voix-off didactique et redondante qui interprète ce qui se voit à l’écran. Malick en prend le contre-pied total en lui conférant un rôle tout sauf factuel. Si les contours de la voix de Cate Blanchett, très présente et introspective, rappellent celles des précédents films de Malick (de “La ligne rouge” à “Knight of Cups), la voix-off n’appartient pas à un personnage, ni à un narrateur qui nous raconterait scolairement la formation de l’Univers.

“Mother, mother… where are you ?”...  Une voix surgit par-dessus l'obscurité de l'écran. Parfois en tant que litanie implorante destinée à la Nature, tantôt comme envolée lyrique sur la Vie et sa merveilleuse diversité. Telle une double-narration, cette voix en suspens refuse de donner un sens aux images et semble fonctionner indépendamment du flux visuel. Elle ne fonctionne pas en vase clos, mais ouvre sur une nouvelle dimension spatio-temporelle, située quelque part entre les croyances de Malick et la conscience métaphysique du spectateur. Enveloppée de partitions sacrées et mystiques composées par Arvo Pärt, Bach, ou encore Simon Franglen (qui font forcément échos avec les choeurs de Ligeti dans "2001, l’Odyssée de l’espace"), cette prière résonne comme le doute face à l’inconnu et l’inconcevable.

3ème dimension

L’émergence de l’humanité est peut-être ce qui demeure le plus problématique dans "Voyage of Time". D’abord parce qu’il sous-entend que l’homme est une finalité de l’évolution - son apparition serait en germe dans les toutes premières cellules (le postulat du finalisme, on y revient). Ensuite parce certaines de ces séquences basculent dans le pur docudrama, se fourvoyant dans des allégories kitsch new-age pudibondes. En illustration, ce groupe d’hommes préhistoriques qui errent dans la nature totalement nus mais auxquels Malick prend le soin de ne cadrer aucun de leur sexe (assexués ? tels des anges...).

Dans cette suite de scènes plus ou moins laborieuses, nous retiendrons un plan significatif, un seul, celui d’un homme primitif regardant son reflet dans l’eau d’une rivière, prenant conscience de soi et de son image. A partir de cet instant, l’homme a créé le monde “à son image” pourrait-on dire. Des dessins rupestres jusqu’à la construction de gratte-ciels monumentaux (évoquant les volcans en éruption du début) en passant par l’art du cinéma. Chaque plan de "Voyage of Time" assume finalement sa dimension anthropomorphique : la vitalité de la Nature, le comportement des animaux ou le désordre de la matière invoquent à leur manière un geste, une expression, une conscience de l’Homme. (1)

4ème dimension

Assez peu remarquées et absentes des bande-annonces, "Voyage Of Time" contient nombre de séquences ethnographiques, intégrées entre les grandes étapes de l’évolution. Aux antipodes des tableaux époustouflants sur la Nature, ces images sont délibérément en format 4/3, brutes, filmées à la main avec un petit camescope (Harinezumi) donnant un grain et des couleurs proches d’un film super 8 ou super 16. Enregistrées par plusieurs opérateurs dans le monde, elles semblent montrer l’humanité dans sa diversité et sa fragilité  : des SDF camés, des rites en Inde, des peuples oppressés (Palestine ?), une petite fille dans un champ …

Tournés en vue subjective, à hauteur d’homme, ces rushes sans commentaire, sans explication, à l’esthétique intemporelle, évoquent des souvenirs passés d’une civilisation perdue, ou du moins proche de sa fin. Ces séquences donnent au film un caractère mélancolique voire mortifère. Comme si l’humanité était vouée à sa propre disparition après une existence absurde, dénuée de sens, et insignifiante sur l’échelle du Temps. Il y a aussi dans l’inclusion de ces scènes floues et tremblantes, un sentiment d’urgence. Celui de filmer l'homme avant son extinction finale. Réside aussi dans le choix de ce format provoquant, en tout cas agressif et non conventionnel pour un film “grand spectacle”, la rage de tout enregistrer, archiver, conserver... à n'importe quel prix. Avant la mort du cinéma ?

 

Si multiples dimensions temporelles, mentales, esthétiques s’y entremêlent, ce documentaire expérimental à sensations conserve néanmoins une certaine lisibilité et accessibilité. Humaniste et religieux jusqu’à sa projection-communion (une projection dans toute la France le temps d’une seule soirée), "Voyage of Time" est un film résolument existentialiste mais aussi testamentaire. En s’inspirant de Michel Houellebecq dans “Les particules élémentaires”, Malick aurait pu le terminer par cette sentence : “Ce film est dédié à l’homme”.

 

Aurelio Cárdenas

(1) Revoir également la séquence “fondatrice” des deux dinosaures dans “Tree of Life”.

 

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Voyage of Time de Terrence Malick (Etats-Unis, 2016)

Séance unique en France le jeudi 4 mai 2017 

Crédits : Mars Distribution

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